12-2013, tome 110, 2, p. 319-349 - P. BRUN et B. CHAUME - Une éphémère tentative d'urbanisation en Europe centre-occidentale durant les VIe et Ve siècles av. J.C ?

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12-2013, tome 110, 2, p. 319-349 - P. BRUN et B. CHAUME - Une éphémère tentative d'urbanisation en Europe centre-occidentale durant les VIe et Ve siècles av. J.C ?

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L'idée d'un spectaculaire renforcement de la hiérarchie politique au sein des sociétés nord-alpines des vie et ve s. av. J.-C., à la faveur des contacts entretenus avec les Grecs et les Étrusques, a été contestée par un courant dominant de la recherche, depuis une vingtaine d'années. Les découvertes de terrain se sont pourtant accumulées graduellement et ont, désormais, définitivement disqualifié ce courant de pensée. Ses tenants ont rapidement changé d'avis, défendant désormais une opinion diamétralement opposée au primitivisme du courant postprocessualiste. La question d'une urbanisation, si loin de la Méditerranée, quatre siècles plus tôt que prévu, a été formulée et se pose dorénavant, en effet, de manière sérieuse et légitime. Elle devait, selon nous, être envisagée par comparaison avec les phénomènes d'urbanisation qui se sont développés sous la forme des cités-Etats grecques et étrusques à partir de la fin du viiie s. av. J.-C;ce que nous faisons ici. Nous tentons de montrer, de la sorte, qu'un tel processus était certes en passe d'aboutir, mais qu'il a avorté avant une pleine cristallisation. Après avoir passé en revue les principales idées dans ce domaine via l'approche traditionnelle, les principes de la New archaeology et la réaction postmoderniste si virulente malgré son absence de pertinence, nous soulignons les acquis déterminants d'une nouvelle échelle d'investigation sur le terrain. C'est grâce à ce changement de méthode de recherche que les sites princiers de la Heuneburg, Vix et Bourges sont venus bousculer les critiques primitivistes. Nous avons ainsi les moyens d'examiner s'il est justifié d'appliquer le concept d'urbanisation dans le cas qui nous occupe, en revenant sur la question, fondamentale à nos yeux, de la définition générale de l'urbanisation et en insistant, plus particulièrement, sur les critères archéologiquement exploitables. Nous rappelons ensuite le contexte global de l'urbanisation durant le Ier millénaire av. J.-C. en Europe. Pour la Grèce et l'Italie, nous constatons que le processus concret d'urbanisation demeure très difficile à saisir;davantage même paradoxalement qu'au nord des Alpes. De la Bavière au Berry, c'est un niveau de complexité politique plus élevé encore que celui envisagé par Kimmig et les systémistes qui s'est affirmé. Nous montrons aussi le caractère improbable et invérifiable de deux hypothèses plus récentes : l'une singulière et « magique » proposée pour expliquer la présence d'un cratère grec dans la tombe de Vix, l'autre envisageant que les sites dits princiers auraient été dépourvus d'emprise territoriale. Nous insistons, au contraire des approches particularistes, localistes et relativistes, sur l'évidence de la mise en place d???une économie élargie à l'échelle continentale et sur le rôle à la fois politique, économique et idéologique majeur des centres princiers. Nous précisons la variété des types d???établissements mise en évidence grâce aux progrès de l'archéologie préventive. Toute une gradation se révèle, en effet, entre la simple ferme et la résidence princière. Ceci confirme le caractère très fructueux du changement d'échelle des opérations de terrain et conduit à soutenir la poursuite des efforts dans ce sens. La question de l'urbanisation s'inscrit, bien entendu, dans celles de la complexification politique, notamment de l'émergence de l'État. Il nous est apparu important, à cet égard, de reprendre les essais d'explication de l'accès probable de femmes au plus haut niveau de pouvoir dans ces sociétés. Ce type de phénomène social semble apparaître, le plus souvent, dans des sociétés fortement hiérarchisées. Ce niveau de complexité transparaît aussi dans l'apparition d'inscriptions sur des poteries de fabrication locale, indices d'une prise de conscience, par certaines élites indigènes, de l'importance de ce moyen de communication, et prémices de l'' d'une société urbaine et étatique. L'inachèvement de ce processus est prouvé par son interruption brutale durant deux ou trois siècles. Il se manifeste aussi dans l'absence près des résidences princières de ces vastes nécropoles périphériques qui cernent invariablement les agglomérations pleinement urbaines. Nous soumettons enfin à la critique le terme quelque peu galvaudé de « proto-urbain » et proposons celui de « site à l'urbanisation inachevée », qualifiable de site « atélo-urbain », atélès signifiant inachevé en grec, préférable car plus explicite, précis et dépourvu d'ambigüité.

 

The idea that political hierarchy was reinforced within northern-Alpine societies of the 6th-5th centuries BC by contacts with the Greeks and the Etruscans has largely been challenged in the last 20 years by dominant trends in research. The new discoveries that have progressively been made in the field have definitively laid to rest this theory and its protagonists have converted and put forward new theories completely opposing the primitivism of post-processualist thinking. The question of urbanisation in a region far from the Mediterranean and four centuries earlier than recently believed has been raised quite legitimately. We believe it should be seen in comparison to the form of urbanisation that developed in the ancient Greek and Etruscan city-states from the end of the 8th century BC and we will attempt to prove that a similar process was on the verge of succeeding further north but was aborted before its final completion. After reviewing the main ideas using a traditional approach, the principles of ???New Archaeology??? and its virulent postmodernist reaction, utterly lacking in pertinence, we will underline the decisive advantages of using a new investigative scale in the field. It is largely due to this change in research methods that the aristocratic sites of Heuneburg, Vix and Bourges have overturned the primitivistic critics. We now have the means to examine whether it is justified to apply the concept of urbanism in the present case by reviewing what, in our eyes, is a fundamental question: the general definition of urbanism. We would like to recall the global context of urbanisation during the 1st millennium BC in Europe. Paradoxically, we find that the process of urbanisation is more difficult to understand in Greece and Italy than in the regions north of the Alps. From Bavaria to the Berry, it is of a more complex political nature than previously envisioned by Kimmig and the systemists. We will demonstrate in passing that the somewhat magical explanation of the presence of a Greek krater in the Vix tomb is not only unverifiable, but also improbable. Finally, the unlikely hypothesis that the so-called aristocratic or princely sites were without any hold on surrounding territory will also be examined. We will, on the contrary, insist on a more particularist, localist and relativist approach of evidence of a widespread continental economy and of the major political, economic and ideological role played by high-status centres. We will detail the different types of establishment, from the simple farmstead to the aristocratic residence, that have been brought to light thanks to progress made in preventive archaeology, thus highlighting the success of changing scale in the field and thus encouraging continued efforts. The question of urbanisation must of course be considered within a framework of increasing political complexity, specifically with the emergence of the state. It is also important, in this respect, to review the subject of the probable access of women to the highest ranking roles in society, a phenomenon that is mainly apparent in societies with a strong formal hierarchy. Other evidence of this high level of complexity is the appearance of inscriptions on locally produced pottery indicating an awareness by certain indigenous populations of the importance of this type of communication and the first signs of a budding urban state society. The fact that this process remained incomplete is demonstrated by its brutal interruption for two to three centuries, and the absence, near the princely residences, of the vast burial grounds that invariably developed around urban agglomerations. To conclude we will review the over-used term ???proto-urban??? and propose the new term ???incompletely urbanised site???, or ???atelo-urban??? (atélès meaning incomplete in Greek), as it is more precise and devoid of ambiguity.