12-2020, tome 117, 4, p. 547-581 - Peschaux  C.,  Deseine  A.,  Leduc  C.,  Le  Jeune  Y.,  Marquebielle  B.,  Valentin B., Valentin F. (2020) - Mesolithic settlement on la Haute-Île in Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis, France)

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12-2020, tome 117, 4, p. 547-581 - Peschaux C., Deseine A., Leduc C., Le Jeune Y., Marquebielle B., Valentin B., Valentin F. (2020) - Mesolithic settlement on la Haute-Île in Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis, France)

Mesolithic settlement on la Haute-Île in Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis, France): between funerary and domestic functions

 

Caroline Peschaux, Alexandre Deseine, Charlotte Leduc, Yann Le Jeune, Benjamin Marquebielle, Boris Valentin, Frédérique Valentin

 

Abstract:

The site of la Haute-Île in Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) is located in a meander of the Marne where a Holocene paleosoil is preserved over a surface of 3 400 m2, on the paleobank of a former island. This paleo-soil contains the remains of several Mesolithic occupations (as well as some sparse remains from the Neolithic and Protohistoric periods). The site was partially excavated as part of preventive (2000-2004), then programmed operations (2011-2015), which revealed, for the Mesolithic: on one hand, a group of graves (four, for the moment), which represent the fourth known cemetery in France for this period; and, on the other hand, abundant remains (lithic industry, fauna, osseous industry) indicating the presence of several successive domestic occupations. Radiocarbon dates reveal that the necropolis is older than the domestic remains, indicating several phases of site use during the Mesolithic, with, first of all, a mainly funerary use towards the middle of the seventh millennium before our era (transition between the first and second Mesolithic), followed by several domestic occupations during the sixth millennium (second Mesolithic i.e., late and final Mesolithic).

 

Keywords: Mesolithic, 'cumulative soils', graves, ornaments, lithic industry, fauna, osseous industry, Paris basin, France.

 

Résumé :

Le site de la Haute-Île à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) se trouve sur la rive droite de la Marne, au sein d'un méandre situé à 15 kilomètres en amont de Paris (fig. 1). L'important potentiel archéologique a été mis en évidence à partir de 1999 lors des opérations préventives liées à l'aménagement de ce terrain en parc urbain. Ces premiers travaux ont révélé que le méandre correspond à une ancienne île conservant un paléosol holocène au niveau de sa paléoberge-est (fig. 1). Partiellement fouillé dans un cadre préventif (2000-2004) puis programmé (2011-2015), ce paléosol, dont l'extension est estimée à 3 400 m2 (fig. 3), contient les trois espaces typiques de bord de rivière : berge, rive (en partie organique) et chenal (fig. 2). Sur la berge, seul espace pour l'instant fouillé, les occupations sont regroupées au sein d'une même unité de sol complexe correspondant à des « sols cumulés ». Ce niveau est très riche en matériel archéologique accumulé avec peu d'apport sédimentaire et d'importants phénomènes de pédogénèse. Des études géostatistiques (par projection altitudinale de l'ensemble des artefacts et écofacts) ont néanmoins permis de repérer que cette couche conserve une microstratigraphie composée d'au moins deux niveaux « fantômes » (fig. 4). Bien que livrant des témoins fugaces d'occupations néolithiques et protohistoriques, ces « sols cumulés » sont surtout riches en vestiges mésolithiques avec des témoins d'activités funéraires et domestiques.

Les sépultures mésolithiques de la Haute-Île sont pour l???instant au nombre de quatre (fig. 6, 7, 8 et 9). Réparties sur une surface minimale de 120 m2 (fig. 5), elles consistent en des inhumations primaires et individuelles réalisées dans de très petites fosses (aux contours ovalaires de moins d'un mètre de diamètre et aux profils en U à fonds plats). Les corps sont tous fortement contractés (tête inclinée avec les membres inférieurs et supérieurs repliés sur le torse) mais ils ont été déposés de façon peu normalisée (fig. 11) : en position redressée avec le buste vertical (sépultures 2 et 4), ou bien sur le dos (sépulture 1) ou encore sur le ventre (sépulture 3). La décomposition en espace vide ainsi que des effets de paroi ou de contrainte conduisent à formuler l'hypothèse de contenants funéraires souples et périssables, autrement dit d'une préparation des corps avant inhumation. A ce stade, la présence d'objets de parure n'est attestée que dans la sépulture 3 et ils se composent de coquillages fossiles et subactuels découverts en petite quantité à proximité du crâne, du bassin et du coude gauche (fig. 10). Les datations radiocarbone (AMS) obtenues placent les sépultures de la Haute-Île durant le 7e millénaire avant notre ère, soit à la transition entre le premier et le second Mésolithique (tabl. 4 ; fig. 18). Avec les découvertes de La Vergne en Charente-Maritime et celles des îles bretonnes d'Hoëdic et Téviec, le groupement de sépultures de la Haute-Île constitue la quatrième nécropole mésolithique connue sur le territoire français. Les pratiques funéraires particulières décrites à la Haute-Île se retrouvent sur plusieurs autres sépultures isolées du Bassin parisien, principalement attribuées au premier Mésolithique (tabl. 5), ce qui inscrit la nécropole de la Haute-Île au sein d'un possible modèle régional.

Parmi les vestiges mis au jour dans les « sols cumulés », une grande partie peut être rattachée au Mésolithique. Sur les 7 000 éléments d'industrie lithique, la très grande majorité des pièces attribuables se rapporte à cette période (tabl. 1). Seulement une trentaine d???éléments appartient au premier Mésolithique (composante A parmi les armatures) tandis que le reste est attribué au second Mésolithique (composantes B, C et D ; fig. 12 et 13). Les composantes B et C peuvent être rapprochées du Mésolithique récent. Elles se distinguent l'une de l'autre par des critères typologiques (respectivement trapèzes rectangles à base souvent concave versus trapèzes plus longs à base décalée) ainsi que métriques (lamelles étroites et minces versus lamelles plus larges et plus épaisses) ou lithologiques (usage principal de silex d'âge Mésozoïque versus Cénozoïque) et même spatiaux (répartition relativement dissociée : fig. 14 et 15). La composante D, peu nombreuse, se rapporte plutôt au Mésolithique final et se compose de pointes de Sonchamp, de trapèzes asymétriques et de triangles scalènes. Parmi les 17 000 restes de faune, les espèces sauvages dominent largement (tabl. 2 ; fig. 16) avec du sanglier (34,3 % du NRD), du cerf (22,8 % du NRD), du chevreuil (15,1 % du NRD) et de l???aurochs (5,5 % du NRD). Les taxons domestiques (b?uf, caprinés et équidés) sont en revanche très peu représentés (1,3 % du NRD) et rappellent la présence d???occupations discrètes postérieures au Mésolithique. Les sept mesures radiocarbone réalisées sur la faune sauvage se situent toutes dans la même fourchette chronologique (tabl. 4 ; fig. 18) : durant le 6e millénaire avant notre ère, soit au cours du second Mésolithique. Les stratégies d'acquisition et d'exploitation identifiées correspondent à une chasse majoritaire aux ongulés terrestres sauvages avec traitement des carcasses et consommation in situ (à l'exception peut-être de l'aurochs dont certaines parties squelettiques ont pu être exportées ailleurs). La présence du castor, de la

loutre et de poissons témoigne de l'exploitation du milieu aquatique mais celle-ci paraît être minoritaire. Des fragments de poinçons en os, des canines de suidés refendues et des métapodes de cerf et de chevreuil travaillés signalent la présence d'une industrie en matières dures animales dont une partie au moins pourrait être prudemment rattachée au Mésolithique (tabl. 3 ; fig. 17). L'attribution à cette période de l'essentiel sinon de la totalité de la faune sauvage ainsi que de l'industrie lithique abondante et variée indique une occupation fréquente et répétée de la paléoberge-est de la Haute-Île durant le second Mésolithique. La nature du mobilier découvert (outils et armatures lithiques, restes de chasse et de boucherie, possibles pièces d'industrie en matières dures animales) indique sans conteste des occupations à caractère domestique. A ce titre, le site de la Haute-Île constitue un nouveau gisement de référence, car c'est le seul qui soit multiphasé en Île-de-France pour le second Mésolithique, les témoins de cette période étant de surcroît encore rares à plus large échelle dans le Bassin parisien.

Les datations radiocarbone laissent penser que la nécropole pourrait être plus ancienne que les occupations domestiques, ce qui conduit à formuler l'hypothèse que l'occupation humaine mésolithique de la Haute-Île s'est déroulée en plusieurs moments avec, tout d'abord, une occupation à fonction principalement funéraire durant le 7e millénaire avant notre ère, suivie de plusieurs installations successives à vocation domestique durant le 6e millénaire. A ce stade de la fouille, les sépultures ne paraissent pas être en lien avec un habitat. Si elle se confirme, une telle implantation des structures funéraires à l'écart des lieux d'habitation correspond à une situation courante dans le Mésolithique régional, ce qui renvoie peut-être à une conception particulière de l'espace à cette période. Cette succession de fonctions à la Haute-Île pourrait indiquer que la nature funéraire du lieu a pu être rapidement oubliée ou négligée, peut-être à l'occasion des bouleversements de diverses natures qui ont marqué le passage du premier au second Mésolithique, mais il est également possible que les populations du second Mésolithique se soient volontairement installées sur un lieu ayant gardé une forte charge symbolique. Il faut noter par ailleurs que la paléoberge-est fut un lieu particulièrement attractif durant tout le Mésolithique, en étant à l'abri des crues, avec une bonne visibilité et un accès facile à la rivière.

 

Mots-clés : Mésolithique, « sols cumulés », sépultures, parures, industrie lithique, faune, industrie osseuse, Bassin parisien, France.